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Richesse collective et fortune privée

Sur l’année écoulée, la richesse produite dans le monde a ralenti mais les très grosses fortunes se sont considérablement accrues. Il n’en sera pas de même pour le patrimoine des ménages français, principalement constitué d’immobilier. Car les prix ont commencé à refluer. Et vont probablement continuer cette année.

© Andréa Danti
© Andréa Danti
© Andréa Danti

© Andréa Danti

La performance de l’année n’est pas encore officielle, mais l’ordre de grandeur est déjà connu : le PIB français n’aura avancé que d’un chouïa en 2013. Au moins a-t-il cessé de régresser, ce qui est plutôt rassurant et encourage les prévisionnistes à pronostiquer un retournement de tendance. En attendant, le PIB par habitant, en euros constants, se retrouve à peu près au même niveau que celui de 2005 : la production de richesse collective s’est donc nettement contractée depuis son sommet atteint en 2007, et il faudra une croissance vigoureuse pour retrouver rapidement les niveaux antérieurs, alors que la population continue d’augmenter (nous sommes désormais près de 66 millions). Dans le même temps où le flux de richesse collective se réduit, le stock de patrimoine individuel s’accroît. On ne dispose, pour l’instant, que des premières statistiques faisant état de l’évolution des 300 plus grosses fortunes mondiales. Selon le classement de Bloomberg, le patrimoine des hyper-riches s’est accru en moyenne de 16,5%, pour atteindre un global de 3 700 milliards de dollars (environ une fois et demi le PIB de la France). Une conséquence directe de l’excellente tenue des places financières mondiales l’année dernière : aux Etats-Unis, le Dow Jones a gagné 26,5% et le Nasdaq 38,3% ; au Japon, le Nikkei a bondi de 57% ; chez nous, la performance est plus modeste, mais le CAC 40 a tout de même progressé de 18%.

Les grosses fortunes étant principalement financières, elles ont ainsi bénéficié à plein de la générosité des banques centrales, qui a alimenté sans discontinuer la chaudière boursière. Il faudra attendre la fin de l’année pour disposer des statistiques de l’Insee relatives au patrimoine des ménages en 2013. Ce dernier s’élevait à 10 544 milliards d’euros en 2012, en modeste progression (+1,6%) par rapport à l’année précédente, principalement grâce à l’évolution favorable des actifs financiers. On peut supposer que le même effet a joué en 2013, même si l’épargnant français ne détient qu’un part modeste d’actions dans son patrimoine. En revanche, sa fortune étant essentiellement immobilière (68%), il est intéressant de s’interroger sur les perspectives du secteur pour les années à venir.

Des prix excessifs ?
L’analyse de l’immobilier, en tant que support de placement, est toujours délicate : les biens concernés ne sont pas homogènes, tant par leur configuration et leur destination (bureaux, entrepôts, commerces ou logements) que par leur localisation (Paris et Région parisienne face à la Province et, d’une façon générale, grandes villes face au reste du territoire). Il est évident que l’atonie économique actuelle, et la mollesse prévisible, au moins sur l’année en cours, ne favorisent guère l’immobilier professionnel et commercial : les valeurs locatives sont étroitement corrélées à la météo conjoncturelle et beaucoup plus volatiles que celles du logement. Les prix de cession s’en trouvent évidemment plus spéculatifs : il s’agit là d’un secteur qui concerne les investisseurs « avertis » et qui ne se prête guère à des considérations d’ordre général, compte tenu des innombrables facteurs particuliers qu’il faut prendre en compte.

Pour le logement, le contexte est différent, même si le critère de situation (géographique) demeure déterminant quant au niveau de loyer praticable (et donc quant à la valeur de marché du bien). Sur l’année qui vient de s’écouler, les transactions sur l’ancien ont repris un peu de couleurs, après une année 2012 morose. Pour les prix, les premières estimations font état d’une baisse moyenne d’environ 1% en Ile de France et de 2% en Province, mais ces moyennes masquent des écarts importants : ce sont surtout les biens urbains les mieux placés qui ont fait l’objet de transactions (donc en haut de la fourchette des prix) et les immeubles ruraux, ou de petites villes, subissent le plus souvent de fortes dépréciations. Dans un contexte où les ménages ont davantage de difficulté à obtenir des financements, en dépit de la relative modicité des taux de crédit, leur solvabilité (qu’ils soient candidats à l’accession à la propriété ou à la location) constitue un facteur essentiel. Or, selon le CGEDD1, on observe une situation paradoxale : si l’indice Insee des loyers a augmenté en phase avec celui du revenu moyen des ménages, depuis une quarantaine d’années, le poids du loyer dans les ressources du locataire a doublé depuis les années 1970. Il faut imputer ce fait à une paupérisation relative des locataires et à une augmentation des loyers très supérieure à celle de l’indice, reflétant une hausse du prix des immeubles bien au-delà du pouvoir d’achat moyen, car le rendement obtenu par l’investisseur est de plus en plus faible.
Faut-il en déduire que le contexte présent est « anormal » et que le marché va se corriger par une nette baisse des prix, faute de pouvoir compter sur une forte hausse des revenus salariaux ? Plusieurs facteurs plaident pour cette hypothèse : d’abord, les prix français ont beaucoup moins reflué, depuis 2008, que ceux de la plupart des grands pays ; ils ont même fortement augmenté à Paris. Ensuite, selon un économiste du CEPII2, les prix immobiliers resteraient stables sur une longue période. Or, depuis 1998, l’immobilier français s’est fortement apprécié, au point de dépasser aujourd’hui de 43% la tendance de long terme. Si l’on ajoute la morosité conjoncturelle et la frilosité constante de nos banques, il devient assez probable que le marché immobilier souffrira cette année.