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Martelle cultive son indépendance

Comme l’ensemble du secteur, la librairie indépendante amiénoise a été impactée par la crise sanitaire, mais plus que jamais elle se veut un lieu ouvert à tous où l’on vient flâner, découvrir et assouvir sa curiosité.

Le chiffre d’affaires de Martelle –toute activité confondue- se monte à 6,2 millions d’euros. (© Aletheia Press / DLP)
Le chiffre d’affaires de Martelle –toute activité confondue- se monte à 6,2 millions d’euros. (© Aletheia Press / DLP)

« Pendant le confinement nous avons eu des réunions quotidiennes avec les autres membres du directoire qui sont tous des indépendants. Il y avait beaucoup de choses à faire : évaluer les pertes, dialoguer avec les représentants de l’État et les éditeurs, nous étions vraiment dans de la gestion de crise », raconte Anne Martelle, à la tête avec sa sœur Françoise Gaudefroy de la librairie Martelle à Amiens et membre du directoire du Syndicat de la librairie française.

La fermeture administrative de ces établissements a entraîné une chute d’activité estimée au niveau national à 93,5% par rapport au printemps 2019 (source Observatoire de la librairie). Si le retrait et la livraison de commandes ont été autorisés, un peu moins de la moitié des 3 300 libraires indépendants ont utilisé cette solution, le chiffre d’affaires dégagé étant symbolique dans 90% des cas.

En réponse à cette crise majeure, le Gouvernement a notamment créé un fond de soutien de 25 millions d’euros et facilité l’accès aux Prêts garantis par l’État (PGE). Fin mai, 729 librairies et 298 maisons d’édition avaient bénéficié de ce dernier dispositif pour un total de 115 millions d’euros (source Ministère de l’Économie). Une fois ces aides mises en place, Anne Martelle a pu se concentrer sur la réouverture de sa librairie et la reprise d’activité des 38 libraires de la maison fondée en 1957.

Réouverture sous surveillance

« Au moment du déconfinement, nous avons regardé ce qui se faisait dans les autres branches et nous avons décidé de mettre en place des règles strictes pour rassurer nos salariés et nos clients. Pendant un mois et demi une personne à l’entrée était chargée de faire respecter le port du masque et l’utilisation du gel hydroalcoolique. Nous avons aussi interdit la manipulation des portables au sein de la librairie », détaille Anne Martelle. Chaque salarié a également reçu un kit comportant du gel, un gant nominatif et un produit nettoyant pour désinfecter régulièrement sa surface de travail.

« Pendant le confinement on a senti une appétence pour la littérature et les grands classiques »

« Il y avait des craintes légitimes, le virus est là, il circule toujours c’est pour cela qu’il nous fallait être exigeants par rapport aux mesures d’hygiène pour que tout le monde puisse retrouver confiance », poursuit-elle. Des mesures qui semblent avoir été efficaces puisque les habitués de cette institution amiénoise sont revenus en nombre, visiblement heureux de retrouver leur librairie. « Le livre est un objet incontournable qui fait du bien à l’âme. Pendant le confinement, on a senti une appétence pour la littérature et les grands classiques mais je ne sais pas si cela va entraîner un changement, si nous allons gagner des lecteurs », confie Anne Martelle.

Affiner la sélection

Si la librairie devrait naturellement voir son activité ralentir cet été, la rentrée suscite beaucoup d’interrogations chez les professionnels du livre. « Nous ne savons pas ce qu’elle nous réserve, c’est la grande inconnue », reconnaît la dirigeante. Les huit semaines de confinement ont entraîné un décalage dans le programme de sortie des ouvrages, faisant craindre un embouteillage en septembre. Pour éviter une telle situation, le syndicat du livre a travaillé avec les éditeurs sur un allègement de celui-ci.

La librairie a été créée en 1957.©Aletheia Press / DLP

La rentrée littéraire s’annonce pourtant tout aussi foisonnante que les précédentes – 500 en 2020 contre 524 en 2019 – au grand dam des libraires. « La production est trop forte, certains livres vont être sacrifiés. Nous sommes très vigilants sur la question des commandes, le risque de surstockage est important. Ce n’est pas plus facile pour Martelle, l’économie du livre est précaire et la fragilité est la même pour tous », souligne Anne Martelle. Une prudence économique qui n’empiètera cependant pas sur ce qui fait l’ADN de la maison : la grande liberté laissée à ses libraires dans leurs choix de commandes et de mise en avant. « C’est cette sélection qui rend un endroit unique, qui lui donne un ton, une couleur », observe-t-elle.

Rester un lieu ouvert

Lieu de découvertes et de flâneries, Martelle est peu à peu devenu une institution, grâce notamment à un savant mélange d’univers. « Depuis l’origine, la librairie a associé le livre aux beaux-arts, à la papeterie, cela fait partie de notre ADN. Les puristes nous ont reproché cet éclectisme, mais la diversification est aujourd’hui incontournable, c’est aussi un outil de démocratisation », analyse Anne Martelle qui envisage par ailleurs de reprendre l’organisation d’événements, autre marqueur fort de l’enseigne, avec une rencontre avec Amélie Nothomb en décembre.

Avec sa sœur Françoise Gaudefroy, elle a toujours eu à cœur de faire de la librairie un lieu de curiosité, de grande tolérance et d’expérimentation. Comme les livres à l’aveugle dont le choix est laissé au hasard grâce au lancer de dés. « C’est une idée qui nous est venue lors d’un voyage d’études au Japon il y a un peu plus d’un an », sourit Anne Martelle.