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2020, une année sans éclat

Ni rebond époustouflant, ni dépression insondable. L’Insee prévoit pour 2020 une économie en demi-teinte, et un taux de chômage en légère baisse. Dans de nombreux secteurs se manifestent déjà des pénuries d’emplois.

Au centre, Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee. 
© Olivier Razemon
Au centre, Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee. © Olivier Razemon

Clair-obscur. C’est le titre de la note de conjoncture de l’Insee pour le début de l’année 2020. Une peinture en clair-obscur « est faite de contrastes, de lumière tamisée. On y observe des sources de lumière, mais pas de grand soleil ». Dans une tentative de description poétique, Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Institut des statistiques, présente les grandes tendances de l’économie française. La croissance, indicateur auquel les décideurs économiques et politiques demeurent très attachés, connaîtrait une régularité de métronome : 0,3 point pour chaque trimestre entre début 2019 et la mi-2020, à l’exception du premier trimestre de l’année qui vient, pour lequel l’Insee prévoit une progression de 0,2%. Après une croissance de 1,3% en 2019, l’Insee table sur un acquis à la fin du premier semestre de 0,9%.

Les incertitudes, pourtant, n’ont pas manqué en 2019. Julien Pouget cite pêle-mêle « le chemin que prendra le Brexit, les tensions protectionnistes issues des États-Unis, les moteurs de la croissance chinoise ou les difficultés du secteur automobile ». Des appréciations plus optimistes sont également discernables. Bouclée le 10 décembre, la note de conjoncture n’a pas pu prendre en compte la large majorité obtenue, par le conservateur britannique Boris Johnson à la Chambre des communes, deux jours plus tard. Mais lors de la présentation à la presse, le 17 décembre, Julien Pouget admet que « la perspective d’un Brexit sans accord semble s’éloigner ». Les négociations commerciales entre l’Amérique de Trump et la Chine de Xi Jinping pourraient par ailleurs prendre fin. « Les États-Unis ont soufflé le chaud et le froid, mais semblent désireux de conclure un accord avant l’élection présidentielle de novembre 2020 », écrivent les conjoncturistes, confiants dans la capacité de Donald Trump de présenter une ligne cohérente… Plusieurs indicateurs reflètent un soutien à l’économie mondiale : « La stabilité des prix du baril de Brent, la baisse continue du taux de chômage dans les pays riches, l’inflation faible dans la zone euro et aux États-Unis », énumère Thomas Ouin-Lagarde, chef de la section Environnement international de la zone euro, à l’Insee.

“Il est un peu tôt pour connaître l’impact des grèves sur l’économie”

En Europe continentale, cette ambiance tamisée amène l’Institut à estimer que « l’économie ne ralentirait pas davantage, voire accélérerait légèrement d’ici à la mi-2020 ». L’économie allemande affiche, certes, une petite forme par rapport à ses voisines, avec une production industrielle en berne, qui se maintient ailleurs. Les conjoncturistes rappellent que, « chacun à leur manière », les principaux pays de la zone monétaire ont mis en place des dispositifs de soutien à la consommation. En France, il s’agit des mesures, chiffrées au total à 17 milliards d’euros, annoncées par le président Macron, après les premières violences des gilets jaunes, en décembre 2018.

Un effet grèves limité

Certes, constate l’Insee, une partie de ces sommes se réfugient dans l’épargne, déjà très élevée en Europe. La confiance des ménages demeure toutefois suffisamment soutenue pour alimenter la consommation, « qui continuerait à progresser à un rythme régulier, y compris fin 2019, malgré le recul des dépenses de transport sous l’effet des mouvements sociaux », écrivent les conjoncturistes dans leur note.

Présentée en pleine grève des transports, non pas, comme d’habitude, au siège de l’Insee à Montrouge (Hauts-de-Seine), mais dans un espace de coworking de la gare de Lyon, desservi par deux lignes de métro automatiques et donc non soumises à la grève, cette note ne pouvait pas faire l’impasse sur le mouvement social en cours. Certes, il n’a pas échappé aux spécialistes que si l’Ile-de-France est particulièrement touchée, ce n’est pas le cas du reste du pays. « Il est un peu tôt pour connaître l’impact des grèves sur l’économie, surtout si elles se prolongent au-delà des vacances de Noël », décrypte Julien Pouget. Les transports ferroviaires, ainsi que le commerce ou le tourisme sont bien sûr touchés, ce qui peut entraîner « des effets diffus sur l’attractivité », mais il faut retrancher à cela « les effets de substitution et de report », indique-t-il. Par exemple, l’hôtellerie, en région parisienne, subit les annulations des visiteurs étrangers, mais bénéficie des séjours de personnes qui, en temps normal, auraient effectué des allers et retours en train. Suite au mouvement social de la fin 1995, qui demeure la référence historique en la matière, l’économie française avait perdu 0,2 point de PIB, rappelle le chef du département de la conjoncture. Mais depuis, l’économie française a changé. « La production industrielle avait alors été beaucoup plus affectée », assure le responsable. D’autres mouvements, plus récents et moins massifs, s’étaient traduits par des pertes de 0,1 point.

En 2020, l’activité intégrera aussi les conséquences des élections municipales. Cette échéance pèse lourdement « sur les investissements des administrations », observe Frédéric Tallet, chef de la section Synthèse conjoncturelle à l’Insee. En moyenne, les investissements des collectivités locales représentent, depuis les années 1970, environ 2% du PIB, davantage que ceux des administrations publiques centrales. Mais cette activité varie en fonction des cycles électoraux, et en particulier celui des communes. Les années qui précèdent les élections municipales, « la production dans la construction augmente de 2 points de plus que le rythme annuel, tandis que le secteur embauche en moyenne 17 000 personnes de plus », peut-on lire dans la note de l’Insee. En revanche, à l’approche immédiate des élections, ce surcroît d’activité disparaît très rapidement. Le dynamisme ne revient qu’une année plus tard et atteint son plein régime à mi-mandat, c’est-à-dire, pour les élections qui viennent, en 2023.

Tous ces indicateurs permettent à l’Insee de prévoir une nouvelle baisse du taux de chômage, qui se fixerait à 8,2% au printemps. Mais cette lente décrue s’accompagne d’importantes pénuries de main d’œuvre, notamment dans le secteur de la construction. « Mi-2019, la proportion d’entreprises signalant une pénurie est au plus haut », indique l’Insee. On retrouve un lien entre baisse du chômage et main d’œuvre manquante dans tous les pays riches. Mais en France, il est observé dès que le taux de chômage descend au-dessous de 10%. La croissance ne suffit manifestement pas à garantir un emploi qui convienne à chacun.