Entretien exclusif avec Jenzik Saillet, directeur général
Novacel : rien que pour vos yeux
Créée en 1994 à Château-Thierry, dans le sud de l'Aisne, Novacel est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de verres optiques. Elle revendique une fabrication 100% française et un succès grandissant qui la positionne en 3ème place sur le marché industriel français du verre ophtalmique. Jenkiz Saillet, directeur général de Novacel depuis 2016, revient sur cette success story.

Comment a débuté l'aventure Novacel ?
La société a été fondée le 1er avril 1994 par Roger Düning, un industriel d'origine allemande, venu en France pour intégrer une société d'optique. Il a ensuite créé une première société qui a duré une douzaine d'années. Il s'est relevé de cet échec et a créé Novacel, initialement avec onze collaborateurs et aujourd'hui en 2025, nous avons 31 ans, nous sommes 650 employés pour 170 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Notre métier consiste à fabriquer et à commercialiser des verres de lunettes, auprès des opticiens français et internationaux. Nous avons une spécificité, c'est que nous sommes les derniers verriers nationaux à fabriquer 100% de nos verres, ce qu'on appelle des verres de prescription, ici à Château-Thierry. Cela a été la volonté de notre fondateur et je la partage entièrement. Nos concurrents de taille nationale fabriquent à l'étranger. Nous sortons neuf millions de verre par an, ce qui fait de nous le troisième acteur français. Un verre, c'est une soixantaine d'étapes et nous faisons chaque paire de lunettes à la commande puisqu'il y a une multitude de combinaisons possibles dans les prescriptions ophtalmologiques. Nous envoyons 34 000 verres par jour environ vers les opticiens. 80% de notre chiffre d'affaires est fait en France. Il y plusieurs pays majeurs pour nous : la Belgique, la Suisse, le Portugal mais aussi le Canada parce que les produits français y sont très appréciés.
Cette volonté du made in France est primordiale pour l'entreprise ?
Elle est vraiment ancrée et voulue par le fondateur. Pour être tout à fait transparent, ça n'est pas parce que le verre optique serait fabriqué à l'étranger qu'il serait de mauvaise qualité. Nos confrères fabriquent de très bons verres, principalement en Thaïlande mais fabriquer français, dans l'état d'esprit, c'est maintenir une souveraineté économique, c'est payer l'intégralité de nos impôts en France.
En termes d'éco-responsabilité, c'est intéressant aussi même si une petite partie de notre production est expédiée au Canada. L'ensemble de nos verres ne font pas des milliers de kilomètres par jour. Nous avons été certifiés Origine France garantie, une certification donnée par la société Pro France. L'intégralité de notre production est certifiée mais cela va plus loin puisque nous avons été certifiés également Service France garantie pour l'ensemble de notre processus industriel.
Nous avons 650 salariés dans un territoire comme la Picardie, et spécifiquement à Château-Thierry, qui a perdu de l'emploi industriel. Nous en sommes à la troisième génération d'employés qui travaillent ici, du grand-père au petit-fils et nous essayons aussi de faire travailler des entreprises locales, en tant que prestataires.
Le verre français est-il plus cher que celui fabriqué à l'étranger ?
Nous ne sommes pas beaucoup plus chers que nos concurrents puisque nous avons des prix seulement supérieurs de moins de 10%. Nous avons des études qui montrent que les consommateurs veulent de la traçabilité, ils veulent savoir d'où vient le produit et ça n'est pas seulement le cas pour les lunettes. Et quand le prix est légèrement supérieur, ils sont prêts à aller sur le produit français. Acheter français, c'est aussi garder nos emplois.
"Nous sommes les derniers verriers de France à fabriquer 100% de nos verres"
Quels sont vos engagements RSE ?
Nous avons été la première société de l'optique à recevoir en début d'année 2025, la certification Afnor RSE engagé Exemplaire, soit le niveau le plus haut. S'engager dans cette démarche, c'est faire parler de Novacel en bien mais, surtout, cela éveille la conscience au quotidien de l'ensemble des salariés sur des petits gestes qu'on a pas forcément l'habitude de faire : éteindre les climatisations et les ordinateurs lorsqu'on a fini sa journé, etc.
La seconde chose, c’est que cela nous oblige, en tant que dirigeant, à mettre en place des choses qui ne sont pas vitales sur le moment mais qui s'avèrent nécessaires. Nous avons fait repeindre dernièrement le toit de l'entreprise avec une peinture réfléchissante afin de diminuer les différences de températures. Le gain financier n'est pas exceptionnel mais cela va permettre aux salariés de moins utiliser la climatisation par exemple. Nous avons installé un petit lac en arrière du bâtiment pour la biodiversité également, ce sont des petits gestes qui éveillent les consciences.
Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ?
Le recrutement est une véritable problématique. Nous recrutons tous les profils, des gens qui n'ont pas de formation de base et auxquels on a envie d'apprendre un métier mais aussi des gens formés en informatique, en gestion, en marketing. Les générations entre 18 et 30 ans, nous avons du mal à les recruter parce qu'ils ont un rapport au travail différent de ce qu'on pouvait avoir. Ils n'ont pas forcément de famille à charge et le travail leur semble davantage être un moyen plus qu'un but. On les entend dire en entretien «de toute façon, moi dans trois ans, je ne serai plus là» ou «je vais prendre une année sabbatique», et nous devons alors les convaincre.
Sans vouloir faire du bashing jeunes ni faire de généralité, ils sont aussi dans le «tout tout de suite», il n'y a plus la notion de débuter d'en bas ou de travailler pour mériter quelque chose. Par contre, quand les gens commencent à fonder une famille, avoir des responsabilités, comprendre que la vie n'est pas seulement ce qu'on peut voir sur les réseaux sociaux, ils grandissent et deviennent très fiables.
Nous avons d'ailleurs lancé une expérience sociale, nous avons donné carte blanche à cinq jeunes de différents services en leur disant «vous avez six mois pour nous proposer un projet d'amélioration écoresponsable de l'entreprise», on leur délègue une demi-journée par semaine pour cela. Si ce projet est cohérent, il sera mis en oeuvre par l'entreprise. L'idée est de savoir s'ils peuvent s'adapter aux contraintes de l'entreprise et si nous pouvons accepter un regard nouveau.
Le chiffre d'affaires de Novacel progresse continuellement, comment l'expliquez-vous ?
Je dirais qu'il y a le mélange de trois facteurs. En premier lieu la fabrication f rançaise, chose pour laquelle, il y a quinze ans, on nous disait «vous êtes fou, ça n'est plus rentable, il faut délocaliser». Donc le fait d'être l'industriel du secteur qui défend le fabriqué français nous démarque. Nous restons aussi une entreprise à taille humaine qui fait face à des grosses sociétés de taille mondiale, cela nous donne une réactivité et une adaptabilité assez incroyables. Nous sommes aussi très accessibles et proches de nos clients, les opticiens avec lesquels nous avons noué une relation forte et qui ont grandi en même temps que nous. Tous ces éléments expliquent notre succès.
En chiffres
650 salariés
170 M€ de CA
34 000 verres expédiés par jour
L'Optocar sillonne les routes pour le dépistage
Novacel a créé l'Optocar, un camping-car aménagé qui sillonne les routes de France afin de réaliser des dépistages visuels gratuits. Il est équipé est équipé d’un autorefractokeratomètre, d’une unité de réfraction et d’une mallette de verres d’essai.
Bonus
Un lieu favori : un caviste, un vignoble ou tout endroit lié au vin. C'est ma passion. J'adore les cavistes indépendants et la richesse du vignoble français.
Une personnalité qui vous inspire : mon père, Syrien, qui a quitté son pays pour fonder une famille en France. Il m'a appris la tolérance, la bienveillance et la valeur du travail.
Un conseil à un jeune dirigeant : être bienveillant. On apprend souvent à un dirigeant à n'être que pragmatique mais être bienveillant et humain, c'est essentiel. Certains s'en souviendront et on peut tout dire, tout faire tant que c'est bienveillant.