Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

« Il faut rapidement assainir le marché de la pomme de terre »

La filière pomme de terre est l’une des victimes collatérales de la crise sanitaire du Covid-19. Avec la fermeture massive de la restauration collective partout dans le monde, les usines ont été mises à l’arrêt brutalement, et totalement. Le résultat : une surabondance de pommes de terre qui engorge le marché. Une aide vient d’être débloquée pour permettre l’évacuation de cet excédent.

50% des pommes de terre produites en France sont destinés à la restauration (c)Aletheia Press /B.Delabre
50% des pommes de terre produites en France sont destinés à la restauration (c)Aletheia Press /B.Delabre

300 000 tonnes… Voilà la colossale quantité de pommes de terre françaises qui n’aurait pas trouvé de débouché du fait de la crise sanitaire. La fermeture brutale des restaurants et notamment des établissements de restauration collective, et ce, un peu partout dans le monde, a créé un énorme bouchon sur le marché du tubercule. Logique. Sur les cinq millions de tonnes de pomme de terre de consommation produites en France, la moitié est destinée à ce débouché de la restauration, qu’elle soit rapide ou traditionnelle.

Arnaud Delacour, président de l’UNPT, est agriculteur à Dommiers près de Soissons. (UNPT)

Un marché totalement saturé

« L’Union européenne est le leader mondial de la fabrication de frites surgelées, explique Arnaud Delacour, agriculteur dans l’Aisne et président de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). L’industrie absorbe ainsi 40 000 tonnes de pommes de terre par semaine. » Alors avec la mise à l’arrêt total des usines de transformation partout dans le grand bassin de production du Nord de l’Europe, le marché n’a pas tardé à être totalement saturé. Une partie de cette marchandise devenue excédentaire s’est retrouvée sur le marché du frais, le perturbant par effet cascade, au moment critique de la commercialisation de la production de primeur. Le reste ? Le reste ne pourra guère être conservé au-delà de la mi-juillet.

Dans ces conditions, « l’important c’est d’assainir le marché le plus vite possible, résume Arnaud Delacour. Notamment pour enfin laisser un peu de place aux producteurs primeurs ». Mais aussi pour éviter une chute durable des prix, alors même que les emblavements ont continué de se développer en 2020. « La tendance générale reste au développement des surfaces, poursuit le président de l’UNPT. Les emblavements de cette année se font sur la base des éléments du marché de janvier 2020. » La crise sanitaire ne pouvait alors pas être anticipée. « Si la récolte devait être très bonne, on se retrouverait dans une situation difficile. L’équilibre du marché du nord de l’Europe est aux alentours de 26 millions de tonnes. Seulement 1% de production en plus, c’est 7% de prix en moins ! » Le marché de l’industrie est très contractualisé, ce qui limite les surprises. Mais le marché du frais, lui serait immédiatement affecté.

Alimentation animale ou énergie

L’urgence du désengorgement est donc réelle. Des solutions émergent pour déstocker les tonnes excédentaires. On pense au marché de l’énergie, en utilisant la pomme de terre comme substrat pour alimenter les méthaniseurs, ou pour le compostage. Mais aussi et surtout au marché de l’alimentation animale. La pomme de terre peut servir avantageusement de substitut au maïs dans les rations. Ce débouché pourrait être d’autant plus intéressant que la récolte de maïs reste incertaine du fait de la sécheresse de ce printemps.

Pour faciliter ce dégagement, l’État vient de débloquer dix millions d’euros. Un budget qui devrait permettre de libérer une aide au dégagement de l’ordre de 50 euros par tonne, même si les modalités précises de la mise en œuvre de cette aide ne sont pas encore inscrites dans le marbre. « Avec cette aide, on amortit un peu le choc, estime Arnaud Delacour. Nos coûts de production oscillent entre 120 et 130 euros/ tonnes. Alors si l’on parvient à vendre sur les marchés de l’énergie, du compostage ou de l’alimentation à 30 euros/ tonne, avec l’aide de 50 euros, on devrait permettre à tout le monde de passer l’orage. »


Vers une rénovation des bâtiments de stockage

Outre l’aide au dégagement de l’excédent, les producteurs des Hauts-de-France demandent aussi un soutien de l’État pour la modernisation de leurs bâtiments de stockage. En effet, l’interdiction totale à partir du mois d’août du principal conservateur de pommes de terre (le chlorprophame, un antigerminatif) suppose de trouver des solutions de substitution. On parle du produit “Dormir”, un produit de biocontrôle naturel, mais il est fabriqué en Chine, dans la province de Wu-Han. Reste l’huile essentielle de menthe, mais qui présente le double défaut d’être plus chère et très volatile. Son utilisation suppose donc une étanchéité maximale des bâtiments pour éviter de laisser la précieuse essence s’échapper… et parfumer fortement l’environnement du bâtiment. La Région des Hauts-de-France a d’ores et déjà annoncé qu’elle était prête à soutenir ses producteurs dans cette démarche de rénovation des bâtiments, à condition que l’État mette lui aussi la main à la poche.

Le stockage est l’un des enjeux de cette filière.(c)Adobestock