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Masques invendus : la filière textile régionale appelle à la prise de conscience

L'heure n'est pas à la polémique mais à la prise de conscience publique et collective. L'Union de l'industrie textile et de l'habillement (IUTH) Hauts-de-France alerte sur les stocks de masques et tissus invendus des entreprises textiles de la région alors qu'elles se sont mobilisées et lancées en urgence dans cette fabrication. Le "consommer français" et l'achat citoyen demeurent les seules solutions possibles face à une concurrence venue d'Asie.

Olivier Ducatillion appelle à la prise de conscience
Olivier Ducatillion appelle à la prise de conscience

« C’est surprenant et désolant. » Voilà comment Olivier Ducatillion, président de l’IUTH Hauts-de-France, résume la situation actuelle, post Covid-19. Et la situation est bien embarrassante. Le reflet de la gestion de la crise ? « Je ne veux pas polémiquer mais alerter et essayer de trouver des solutions aux problèmes que rencontrent les 80 entreprises de la région qui se sont mobilisées dans la fabrication de masques pendant le confinement », précise Olivier Ducatillion.

C’est en mars, au moment où la crise sanitaire du Covid-19 s’aggrave en France, où le confinement est déclaré, où les hôpitaux sont débordés. « Il fallait des masques pour le personnel soignant, c’était urgent, on nous a martelés qu’il manquait des masques, rappelle-t-il. La filière régionale, mais aussi française, s’est mobilisée très rapidement et très efficacement, elle a été très réactive et je souhaite féliciter toutes ces entreprises et ces personnes qui ont œuvré dans cette démarche. » Cette mobilisation est passée, pour les entreprises, par la transformation de leur production pour fabriquer des masques, à temps complet. « La mobilisation a été solidaire, presque s’en réfléchir. Il n’y avait pas l’idée de profit des entreprises car elles ont très généralement vendu à prix coûtant », rappelle le président régional de la filière textile. Dans les Hauts-de-France, les entreprises ont fabriqué des masques en tissu lavable. Cette fabrication a permis, pendant le confinement, de garder en moyenne 35% de l’activité. « Alors oui, ça permis de garder une activité, mais c’est parti d’un élan de solidarité, d’abord pour les soignants puis ensuite l’urgence est venue pour la population. Je salue cette implication », signale-t-il. Mais aujourd’hui, à l’heure du déconfinement, les demandes de masques sont en chute libre. Résultat : 1 million de produits finis et 3,5 millions de tissus en équivalent masques sont stockés et invendus dans les Hauts-de-France. Un manque à gagner pour les entreprises régionales. « Ne nous oubliez pas », clame Olivier Ducatillion.

Une incohérence ?

La situation est d’autant plus embarrassante que cette chute de demandes de masques émane notamment de la concurrence venue d’Asie, avec des prix défiants tous les prix des produits 100% français. « Nous avons fabriqué des millions de masques, français, de qualité, avec des produits contrôlés, efficaces et avec tout notre savoir-faire pour finalement retrouver dans les rayons des masques jetables venus d’Asie, se désole ce dirigeant, à la tête de Lemaitre Demeestere, la plus vieille usine de fabrication de lin implantée dans le Nord. Pendant le confinement, il fallait consommer français et maintenant l’État laisse des stocks de masques invendus des entreprises françaises pour laisser la place à des produits asiatiques moins chers et dont la qualité reste à prouver. C’est surprenant et incohérent. Aujourd’hui il faut trouver des solutions. »

Cependant, ce point de vue n’est pas toujours partagé, comme le constate Olivier Ducatillion : « J’entends dire qu’on n’a pas forcé les entreprises à le faire. Non, c’est vrai, mais il y avait une urgence sanitaire, un appel à l’aide du personnel soignant puis une urgence pour la population, les entreprises textiles ont cette compétence, on aurait dû ne rien faire ? De même, j’entends dire aussi que la contrainte des masques est qu’ils soient lavables donc ça pose un problème d’utilisation. Cette remarque m’échappe, il faut savoir ce qu’on le veut. On ne pas blâmer aujourd’hui ceux qui se sont mobilisés et ce n’est pas l’enjeu qui est surtout d’aider ces entreprises locales aujourd’hui. » Cette incohérence se pose. La filière textile régionale, qui est l’un des fleurons de l’industrie des Hauts-de-France, se remobilise post Covid-19, notamment auprès de l’État pour obtenir des réponses et des solutions concrètes.

L’acte citoyen

Ce contexte laisse perplexe et pousse à réfléchir. « C’est une crise inédite qui va certainement se reproduire sous d’autres formes, il faut que l’on soit prêts, alerte le président régional. Il faut prévoir des stocks, nous demandons à l’État de racheter les stocks, pour aider les entreprises du textile mais même au-delà, pour prévoir des stocks et ne pas se retrouver dans la même situation. De même, il faut que nous soyons prêts et coordonnés dans la production. »

Les décisions de l’État sont pointées du doigt mais l’ IUTH Hauts-de-France appelle à la prise de conscience collective et à la pérennisation d’un écosystème vertueux. « Si les collectivités ou les entreprises de la région ont besoin de masques, qu’elles se tournent vers les entreprises de chez elles. Avec les masques fabriqués en France, il n’y a pas de problème ni de qualité ni d’acheminement. J’en appelle aux citoyens également. En achetant local, on participe au maintien d’une entreprise, d’un emploi. Cette façon de consommer local est impulsée depuis quelques années et j’y crois. Je crois en cette prise de conscience générale et je pense qu’elle va perdurer », soutient son président. Un message d’espoir et de bons sens qui entend mobiliser toute une région, celle des Hauts-de-France, deuxième région textile de France derrière la région Auvergne-Rhône Alpes. Cet acte citoyen va de pair avec une autre prise de conscience, la préservation de l’environnement. Les masques jetables se retrouvent dans les rues, abandonnés à terre. Olivier Ducatillion appelle au civisme : « S’il vous plaît, ne jetez pas vos masques dans la rue. C’est l’avenir de notre environnement et celui des générations futures qui est en jeu. »

L’avenir de la filière

Cette crise sanitaire inédite, et les conséquences collatérales engendrées, marque une nouvelle étape de l’évolution de la filière textile. Les enjeux actuels sont concrets mais inspirent à penser à l’avenir. « Il y a une première action avec les solutions des stocks des masques mais il faut voir plus loin et la deuxième partie de l’action concerne la filière en général. Il faut sécuriser la filière textile, préconise Olivier Ducatillion. Avec la relocalisation et la réindustrialisation notamment. Aussi avec la baisse des impôts de production, pour certains types de marchés, pour être plus compétitifs. » Un avenir qui dépend encore de la prise de conscience collective, qui concerne les citoyens mais dont l’État devrait en être l’exemple même. « Cela passe également par le fléchage de la commande publique vers les entreprise locales, continue-t-il. Si 15 à 20%, en plus de ce qui est fait actuellement, seraient actés, ce serait une aide pour la filière textile. »


Les Hauts-de-France, 2e région textile française

L’histoire de l’industrie textile des Hauts-de-France ne date pas d’hier. Cette histoire est l’identité même de la région, industrialisée depuis des siècles – ce qui a été sa gloire puis sa chute avec une revalorisation et une modernisation depuis quelques années, davantage avec la Rev3. Très implantée et source de revenus importante dès le Xe siècle, l’industrie textile dans les Hauts-de-France s’est surtout développée au XIIe siècle, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans les années 1950, elle est même un des trois piliers économiques de la région, avec l’industrie charbonnière et la sidérurgie, à tel point qu’on la surnommait “usine de la France”. Aujourd’hui, perdue dans les méandres des nouvelles technologies, l’industrie textile demeure un pan important de l’économie française, et de la région. Aujourd’hui, cette industrie emblématique est présente majoritairement dans le Nord et le Pas-de-Calais… la métropole lilloise représentant la moitié de l’activité et des emplois, principalement en textiles techniques et traditionnels. Le Calaisis et le Cambrésis se partagent l’activité de dentelle. La broderie se retrouve dans le Nord et l’Aisne et les départements de la Somme et de l’Oise se positionnent sur les textiles techniques et activités de tissages. L’industrie textile des Hauts-de-France a su s’adapter et muter, bien qu’affectée dans ses activités traditionnelles, en opérant un positionnement stratégique sur le champ des matériaux avancés avec au cœur de la stratégie : l’innovation. C’est tout un écosystème créé autour d’elle car elle est accompagnée par des outils régionaux tels que le Centre européen des textiles innovants (Ceti), le pôle d’excellence T2M, le pôle de compétitivité UP-tex, et bien d’autres. Forte de son passé, la filière du textile, qui s’est associée dans la région à la filière de l’habillement, de la maroquinerie et de la chaussure, représente (toutes filières confondues), environ 15 000 emplois directs, répartis dans plus de 450 entreprises. Elle se positionne au 2e rang national en termes d’emplois industriels, derrière la région Auvergne-Rhône Alpes. Une histoire à ne pas oublier à l’heure où consommer local est devenu, bien plus qu’une mode, une façon de vivre.


L’industrie textile régionale c’est :

  • 350 entreprises.
  • 200 entreprises de plus de dix salariés.
  • Plus de 12 000 salariés.

Le tissage du lin est une spécificité de la région.©Adobestock


La région affiche un réel savoir-faire.©Adobestock

Des masques en tissu lavable ont été fabriqués dans les Hauts-de-France.©Adobestock