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Le stress de la finance suisse

Depuis l’ouverture de la chasse aux paradis bancaires et fiscaux, la Suisse est assaillie de toutes parts. Les Etats-Unis sont en passe de lui imposer leur loi, même si la victoire n’est pas encore acquise. Avec la France, le bras-de-fer se poursuit. Quelques beaux succès pour Paris, mais la résistance se renforce.

© Photo Eric Nguyen
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L’année qui s’achève aura de nouveau été placée sous le signe du stress pour le secteur financier suisse. Notamment au travers de son différend avec le Département américain de la Justice (DoJ), qui continue de pilonner les banques helvétiques, au titre de leur contribution à l’évasion fiscale de ressortissants yankees. Plusieurs établissements, convaincus d’avoir délibérément pris part à la fraude, ont déjà subi de lourdes pénalités – d’aucuns ont même disparu sous le poids des amendes infligées. Mais le dossier est loin d’être clos. A la fin de l’été dernier, le DoJ a proposé un « programme de régularisation » aux banques suisses, avec une gradation des sanctions selon leur position dans une grille de quatre catégories : la première regroupe celles qui sont déjà poursuivies aux Etats- Unis ; la deuxième, celles qui n’ont pas été épinglées mais qui sont susceptibles de l’être ; la troisième, celles dont un audit peut démontrer la virginité ; la quatrième, celles dont la clientèle est essentiellement locale et à ce titre peu suspectes d’avoir industrialisé l’évasion.
Selon ce schéma, bon nombre d’établissements se trouvaient exempts de formalités. Mais depuis lors, avec la rouerie qui lui est coutumière, l’Administration américaine a durci ses positions : pas question d’accorder une amnistie de principe à qui que ce soit. La présence d’un seul résident américain dans les comptes suffit à assaillir la banque, et l’obliger à transmettre les informations circonstanciées aux autorités US. Au global, indépendamment du risque de sanctions financières, le coût d’une telle procédure est difficilement supportable par nombre de petites firmes, contraintes de reconfigurer complètement leur architecture informatique et leurs méthodes d’audit. D’aucunes ont d’ores et déjà préféré abandonner l’activité bancaire, au profit exclusif de la gestion de fortune. Les autres devront se ranger dans l’une des catégories précitées, avant le 31 décembre 2013. Passé cette date, l’Oncle Sam promet le feu et le sang aux contrevenants non déclarés.

De fait, le DoJ a enfermé la place bancaire helvétique dans un piège diabolique. En contraignant tous les établissements à une déclaration « rationnelle » en catégorie 2 – au vu du coût prohibitif de tout éventuel contentieux ultérieur. Ce qui vaut pour chacun reconnaissance implicite d’avoir pu frauder la Lex americana, conférant un surcroît de légitimité à l’offensive judiciaire de Washington. Autant dire que les milieux financiers suisses sont remontés contre les States, et contre leurs autorités fédérales qui ont avalisé le programme de régularisation sans se prémunir contre la duplicité yankee.

Bras-de-fer avec Paris
Le Conseil national de la Confédération vient toutefois de sauver l’honneur, en refusant sèchement d’avaliser la nouvelle convention franco-suisse en vue d’éviter la double-imposition sur les successions. Cette nouvelle mouture prévoyait que les héritiers d’un résident suisse, domiciliés en France, puissent être taxés par la France sur l’ensemble de la succession, y compris sur les immeubles situés en Suisse. Alors que la convention de 1953, toujours en vigueur, repose sur le principe de l’imposition au domicile du défunt. Manifestement, les autorités bernoises sont moins impressionnées par l’Administration française que par son homologue américaine. Il semble toutefois probable que faute d’accord, Paris dénoncera la convention en cours dès l’année prochaine. Chacun des deux Le stress de la finance suisse Depuis l’ouverture de la chasse aux paradis bancaires et fiscaux, la Suisse est assaillie de toutes parts. Les Etats-Unis sont en passe de lui imposer leur loi, même si la victoire n’est pas encore acquise. Avec la France, le bras-de-fer se poursuit. Quelques beaux succès pour Paris, mais la résistance se renforce. © Photo Eric Nguyen 18 N°3497/02/60 – 27/12/2013 www.picardiegazette.fr France pays appliquera alors les dispositions de son droit fiscal, ce qui reviendra, pour la France, à un régime quasi-identique à celui que prévoyait la nouvelle convention. L’impact n’est pas marginal : selon le quotidien Le Temps, il y aurait 180 000 Suisses résidant en France et environ 160 000 Français installés en Suisse.

Convention ou pas, ne sont évidemment pas concernés les actifs mobiliers détenus secrètement en Suisse par des résidents français, et donc susceptibles d’être transmis au nez et à la barbe du fisc tricolore. Encore que les comptes en cause semblent se réduire à une cadence accélérée, si l’on en croit les statistiques de notre ministère des Finances : près de 10 000 contribuables auraient, cette année, demandé la régularisation de comptes détenus irrégulièrement en Suisse. Ce sont les banquiers eux-mêmes qui auraient incité à l’autodénonciation, pour prévenir les dommages collatéraux prévisibles d’une action vigoureuse des autorités françaises, dans le climat ambiant de guerre ouverte contre les paradis. Le quotidien Les Echos1 a récemment consacré une enquête très éclairante sur la diversité du « bataillon des évadés fiscaux ». Il s’avère que bon nombre de comptes, sur les 70 000 qui appartiendraient à des résidents français, seraient le fruit d’un héritage. L’origine des fonds est quelquefois centenaire : sur une aussi longue période, les Français ont eu des raisons objectives, autres que fiscales, de mettre de l’argent à l’abri des turbulences… Au moment où ces comptes sont transmis, bien des héritiers redoutent d’en faire la déclaration au fisc, par crainte légitime de méchants embarras collatéraux. Les modalités de régularisation relativement bienveillantes (qui viennent d’être durcies) ont sans conteste favorisé le rapatriement massif de capitaux. Toutefois, sont principalement concernés les « petits comptes », détenus par des contribuables de bonne foi, ou presque, pour lesquels l’aveu est un soulagement. Pour les grosses tirelires, constituées et alimentées par les titulaires eux-mêmes, abritant le fruit de trafics divers ou de fraude fiscale d’envergure, le secret ne sera pas éventé. Et si la Suisse n’est plus assez sûre, c’est un paradis plus exotique qui accueillera le magot. Le menu fretin est pris dans les filets, mais les gros poissons de la fraude nagent en eaux profondes.